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{Dossier Bulletin 118} Réhabilitation des logements emblématiques du Familistère de Guise : Passer du XIXe au XXIe siècle

  • Writer: Christine Auclair
    Christine Auclair
  • Jun 8
  • 8 min read

Par Jean-Jacques Hubert, h2o architectes


Origine du projet

Ce projet de réaménagement, porté par l’équipe de CDC Habitat, l’OPAL, la SEDA et h2o architectes, naît d’un appel à manifestation d’intérêt remporté en 2019.

Comme dans tout projet qui se respecte, le point de départ passe par l’analyse du contexte urbain, social et architectural. Le Familistère bénéficie aussi de la richesse de son site, lequel alimente naturellement un rapport étroit entre habitat, fonctions, opérations et qualité de vie entre travail et vie privée ou publique. À travers le projet décrit plus bas, ces facteurs ressortent dans une adaptation de la fonction originelle des bâtiments à un mode de vie actuel, répondant aux urgences et normes environnementales actuelles. 

"Fête du travail - proclamation des lauréats dans la cour centrale du Familistère" Extrait de Solutions sociales, par Godin, 1871 [1]
"Fête du travail - proclamation des lauréats dans la cour centrale du Familistère" Extrait de Solutions sociales, par Godin, 1871 [1]

Contexte historique

Le familistère naît en 1840 de l’idée que se fait Jean-Baptiste André Godin du bien-vivre en communauté. Celui-ci crée à Guise une manufacture de poêles florissante, substituant le conventionnel usage de la tôle, pour de la fonte émaillée, permettant ainsi une réalisation plus pérenne et efficace du produit. Ce nouveau mode de chauffage connaît un est très rapide succès.


S’inspirant de l’œuvre de Charles Fourier (1772-1837), philosophe et instigateur de communautés utopiques, dites ‘phalanstères’, il projette de concrétiser un des éléments principaux de cette vision. À Guise, elle prend forme avec l’édification du familistère.

Ainsi, l’organisation et la forme architecturale de cet ensemble urbain sont directement inspirées des idées fouriéristes. La conception essentielle du projet se répartit sur deux axes ; celui du savoir (nord-sud) et celui du travail (est-ouest) en liaison directe avec l’usine, moteur de cette nouvelle société.


Il répartit les bâtiments autour d’une vaste place avec différents équipements, dont ceux des habitations, des services, de l’éducation et des loisirs. Le palais social en constitue le centre.  Autour du pavillon central se positionnent deux ailes d’habitation. Au sud, face aux pavillons et aux ailes d’habitation, côté ville, se regroupent les économats, l’école, la bibliothèque et le théâtre. Au nord, la vue est dégagée et s’ouvre vers les jardins de la péninsule entre l’Oise et le Canal du moulin. Ce vaste ensemble est construit entre 1856 et 1884 en étapes successives alternant les usages, respectant ainsi, jusque dans le chantier, le souci d’une vie harmonieuse pour les habitants. En 1888, à la mort de J.B.A Godin et après plus de 25 ans de chantier, le familistère compte plus de 1700 habitants.


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Conception originelle des bâtiments d’habitation

J.B.A. Godin a conçu les trois édifices d’habitation selon le même principe :

  • un rez-de-chaussée et trois niveaux s’élèvent autour d’une généreuse cour couverte, l’ensemble formant un ensemble régulier.

  • Les services sont sur le parcours de l’usager. Les angles accueillent les liaisons verticales (escaliers semi-circulaires) et horizontales (galeries menant aux autres pavillons ou vers des espaces extérieurs). Les espaces partagés (cabinets d’aisance, fontaines...) sont à proximité directe des escaliers.

  • Aux étages, les galeries assurent les circulations horizontales autour du vide de la cour intérieure.


Dans Solutions sociales, Godin précise :

« La forme demi-circulaire des escaliers est préférable à toute autre ; elle est la plus commode pour tous les âges de la population ; du côté de la rampe, le jeune enfant trouve les marches étroites qu’il gravit en se tenant aux barreaux, et les grandes personnes, du côté opposé, trouvent ces marches plus larges et plus convenables pour leur pas… La dimension des galeries est commode et convenable ; elle est suffisante pour tous les besoins de la circulation, c’est un fait démontré par l’expérience : la largeur des galeries ne pourrait être augmentée, sans nuire à la lumière nécessaire aux appartements de l’étage inférieur, ni diminuée, sans gêner la circulation. »


Tous les logements sont traversants ou biorientés. Ils se composent de « pièces à vivre » donnant sur la cour ou sur le jardin, alors que les espaces fonctionnels comme les cabinets-dressoirs constituent en quelque sorte des espaces « servants » à l’opposé d’espaces « servis », créés avant l’heure.


Le type 1, le plus caractéristique et sa variante le type 2, sont présents au centre de chaque aile de l’édifice. Ils sont constitués de deux logements se partageant un vestibule d’entrée, sorte de seuil entre la sphère du public et la sphère du privé.


Les types 3 et 4, dont l’organisation intérieure est moins évidente, se développent respectivement aux angles et autour de la connexion avec le pavillon central.


Une fois de plus Godin est très précis dans sa conception :

« La règle servant à la distribution des appartements est celle-ci : les portes sont placées à distance d’un angle du fond de la pièce, de façon à ce qu’un grand lit puisse être placé, autant que possible, en deux sens différents, dans chaque chambre, avec sa table de chevet, et que la porte, placée au-delà du lit, soit toujours assez distante de l’autre angle de la chambre pour laisser place à un meuble. »


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La construction de l’aile droite

L’aile droite, objet du présent projet de réaménagement, est la dernière unité d’habitation du Palais social construite. Achevée en 1878, Godin y habite un appartement au premier étage les dernières années de sa vie.

Même si le dessin de l’édifice diffère du projet initial de Godin publié en 1871 dans son livre Solutions sociales, cette aile témoigne, en particulier dans le traitement des élévations, de la cour et des escaliers, de l’aboutissement des réflexions de Godin sur le logement. Les dimensions de l’aile droite sont ajustées. Le nombre d’accès vers la cour intérieure est réduit à deux. L’escalier nord-est prévu dans l’angle de la cour est replacé dans l’édicule de liaison ouest. Les élévations extérieures étaient initialement conçues suivant la trame des façades de l’aile gauche. Les façades du pavillon central serviront finalement de modèle au dessin des élévations de l’aile droite.

L’aile droite a toujours servi d’habitation. Elle accueille aujourd’hui encore des logements à l’exception de l’appartement de Jean-Baptiste André Godin, lequel est rattaché au musée du Familistère et quelques espaces de service.

 

Le projet de logements en 2025


Les logis sont d’une généreuse capacité d’accueil. Ils sont dotés d’attentions particulières aux menus besoins des usagers, et ce pour tous les moments de la journée.


Habiter un lieu

Le traitement du passage du domaine public au logement est un élément clef du présent projet, car la clarté et la qualité de ces transitions et de ces seuils participent du bien-être des habitants. Il s’agit d’une étape dans un processus de réactivation à plus long terme, guidé par le programme Utopia[2]. Les abords de l’aile droite ont fait l’objet d’un remaniement complet en 2013. Dans le cadre de cette opération, l’ensemble des accès ont été rendus accessibles, un parking a été aménagé anticipant les futurs usages.

Entre autres exemples, la mise en œuvre de l’accessibilité se prolonge à l’intérieur par l’intégration d’un ascenseur dans un interstice technique existant.

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Des « générosités communes »

Les espaces extérieurs communs permettent d’étendre l’espace privé du logement vers des espaces plus ouverts, dont la fréquentation et l’utilisation sont réservées aux habitants du bâtiment. Le projet met en œuvre notamment deux espaces communs à usage des habitants, s’agissant d’un espace ‘de convivialité’ , doublé d’une seconde pièce [à usage similaire]. Un de ces espaces investit un ancien appartement tandis que l’autre prend place dans une cour couverte à la manière d’une serre chauffée et traitée acoustiquement. Elle facilitera les rencontres au-delà des coursives ou des autres espaces communs. Ces espaces appellent à l’appropriation naturelle des habitants et contribuent à prolonger l’espace de vie plus privée du logement.

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Flexibilité des logements : levier du développement durable

La structuration des logements mis en œuvre par Godin permet une grande flexibilité dans leur réaménagement. Le projet en bénéficie, car une offre adaptée à plusieurs cas est possible, répondant ainsi à l’évolution des modes de vie.

Nous concevons ce projet dans le respect du monument historique et donc aussi dans sa réversibilité future. Les nouvelles typologies composent avec les partitions, dessertes et matériaux de l’existant.

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Les gestes du quotidien et l’usage domestique

La recherche de typologies de logement expérimentales n’est pas le but de cette entreprise, les innovations adaptatives du projet n’en étant que le résultat. L’objectif porte plutôt sur la proposition de typologies idéales et qui amélioreraient la réponse des lieux aux besoins combinés anciens et contemporains ; dont l’orientation du soleil, la dimension et la juste proportion des espaces, l’usage et les gestes quotidiens contemporains, les vues et cadrages intérieurs… Elles se portent aussi attentives à la domesticité et à l’individualité de chacun, tout en restant soucieuses de la préservation de la relation entre les domaines collectif et privé dans un cadre historique le mieux préservé possible.

L’existant constitue déjà un merveilleux point de départ en ménageant les qualités de vue, de ventilation, d’organisation générale des espaces. Les dimensions et largeurs de fenêtres, par exemple, sont ajustées à chaque niveau pour maximiser l’apport de lumière. Les niveaux plus bas bénéficient d’une hauteur plus grande de plafond et les ouvertures sont dans des proportions adaptées pour un apport de lumière égal à celui des logis en hauteur.


Le bon matériau au bon endroit : une réhabilitation composite

Le projet entier est engagé dans une logique de décarbonation de la construction. Dans cette optique, il n’y a pas de matériaux ou de systèmes constructifs uniques et idéaux, la considération au cas par cas étant toujours requise. Cela a entraîné une réflexion sur le choix et le bon emploi des matériaux pour construire et transformer de manière sobre et pérenne.

Ce travail devait permettre également de repositionner l’archi­tecture par rapport à son territoire et son tissu économique d’entreprises locales. Par exemple, une isolation biosourcée a été mise en œuvre pour l’ensemble du bâtiment.


Maîtriser le confort thermique intérieur et la consommation énergétique

Les moyens naturels déjà mis en place dans le bâtiment original ont naturellement été repris, lesquels favorisent le confort jusqu’au cœur du bâ­timent dans un apport généreux de lumière naturelle. Cet atout s’est vu amélioré par l’ajout de stores entièrement ou partiellement occultants ; la ventilation naturelle est aussi facilitée et mieux contrôlée dans les logements bénéficiant d’une double orientation. L’acoustique est prise en compte entre logements par l’ajout de contrecloisons réversibles.

La cour intérieure, avec ses grilles de ventilation d’époque donnant sur la cave, est propice au rafraîchissement général de l’atmos­phère jusqu’à l’intérieur des habitations. La géothermie est utilisée pour la réduction d’impacts environnementaux dans la production d’eau chaude. Pour ce faire, les réseaux utilisent les parcours des anciennes cheminées pour irriguer chaque logement. Le projet se déploie donc dans les interstices lorsque possible, s’agissant d’améliorer le monument dans ses objectifs originels et sans l’abîmer pour autant.


Économie circulaire et préservation des ressources

Le bon usage des ressources naturelles est étudié au regard de la maîtrise énergétique voulue sur la durée d’exploitation du bâtiment. Par exemple, l’idée de conservation intégrale prévalant sur le réemploi ou le recyclage dans un contexte exogène. Ainsi, un diagnostic précis a permis de préciser les éléments à conserver ou à réemployer, par exemple les tommettes de sol, portes, menuiseries restaurées…


Réduire et valoriser les déchets : trier et recycler

Réduire et valoriser les déchets au quotidien implique un cadre propice à la réalisation de ces actions, de manière individuelle et collective. Plus les espaces fonctionnels sont de qualité et accueillants, plus les ha­bitants s’impliquent de façon naturelle, comme dans le cas du tri et du recy­clage des ordures ménagères. Des espaces généreux destinés à cet usage sont procurés sur le parcours usuel des résidents et sont ainsi mieux employés.


La préservation des « déjà-là » et du « déjà conçu », initiés par Godin dans toute son inventivité et sa générosité, ont été une des trajectoires directrices dans la conception et la mise en œuvre de la réadaptation du Familistère à des normes du XXIe siècle. L’objectif de préservation guidant la mise en œuvre relève donc entièrement de la prise en compte de l’existant. Ainsi tout tend vers une implémentation responsable face aux enjeux actuels de bilan carbone, de la préservation du patrimoine et d’un apport majeur à la qualité de vie des résidents sur le plan local.


[1] Godin, Jean-Baptiste André : Solutions sociales ; A. Lechevalier, éditeur, et Guillaumin, et Ce, éditeurs, Paris; et Office de publicité, Bruxelles, 1871, 678p.


[2] LE PROGRAMME UTOPIA : En 1998, le Département de l’Aisne adopte un grand projet de valorisation culturelle, touristique, sociale et économique du Familistère. La réalisation du programme Utopia est confiée en 2000 au syndicat mixte du Familistère Godin, qui réunit le Département de l’Aisne et la Ville de Guise.

 

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