top of page

« De l’habitat précaire à la ville » : l’exemple de Koungou

  • Writer: Christine Auclair
    Christine Auclair
  • Jul 15
  • 10 min read

Par Vanille Guichard, Architecte urbaniste, Directrice aménagement et renouvellement urbain, et Clarisse Kinuthia, Cheffe de projet aménagement et développement urbain, ville de Koungou.


Département le plus jeune de France, Mayotte est une île, un territoire fini et contraint par sa géographie. Les problématiques sociales, environnementales, sécuritaires ou encore sanitaires qui se superposent, complexifient un passage à l’action pourtant nécessaire au regard des crises successives que connaît le territoire. Parmi elles, la question du logement touche toutes les strates de la population avec à la fois un déficit de production et d’autre part les difficultés d’accès, renforçant ainsi l’étalement des bidonvilles. On constate dans la réalisation des opérations un accès au parc social presque impossible pour les étrangers en situation régulière. Pourtant, nombre de ces ménages habitent depuis plusieurs dizaines d’années à Mayotte. Pour ces familles, le bidonville est souvent la seule solution pour se loger.


Mais ces problèmes ne doivent pas obérer le passage à l’action, primordial pour construire une ville mahoraise sociale et durable. En décembre 2024, le passage du cyclone Chido a révélé l’inconséquence dont souffre le territoire depuis plusieurs décennies. Or, Mayotte dispose de nombreux outils adaptés à ses spécificités, mais aussi des atouts du cadre français propre au développement urbain et à la lutte contre l’habitat insalubre.


Deuxième ville de Mayotte, avec plus de 50 000 habitants en 2024, Koungou est souvent érigée en figure d'une urbanité dégradée qui caractériserait Mayotte. Emprunte de difficultés sociales et urbaines, elle fait notamment l’objet du Nouveau Programme National de Rénovation Urbaine (NPNRU) dans le village (dénomination témoin du passé rural récent de l’île) de Majicavo-Koropa, le plus peuplé des six qui composent la commune.


A contre-pied de cette image dégradée, et forts des partenariats engagés à l’échelle nationale, les projets urbains déployés depuis 2019 à Koungou sont un exemple de mise en œuvre d’actions concrètes en faveur du développement de la ville à Mayotte. Les opérations réalisées ont permis de tester des réponses et de construire petit à petit une méthodologie dédiée au territoire.
A contre-pied de cette image dégradée, et forts des partenariats engagés à l’échelle nationale, les projets urbains déployés depuis 2019 à Koungou sont un exemple de mise en œuvre d’actions concrètes en faveur du développement de la ville à Mayotte. Les opérations réalisées ont permis de tester des réponses et de construire petit à petit une méthodologie dédiée au territoire.

L’opération du Talus 1 de Majicavo, initiée en 2019, est une opération complète de résorption d’un bidonville qui a permis de créer pour la première fois un logement accessible à tous les habitants légitimes. Après un glissement de terrain ayant coûté la vie à une famille en 2018, le maire de Koungou a engagé des actions concrètes de lutte contre l’habitat précaire aux côtés de l’Etat. Démonstrateur, le talus de Majicavo était le site idéal pour réaliser, pour la première fois à Mayotte une opération, de la démolition du bidonville à la construction de logements sur site.


Partant du constat que de nombreux ménages légitimes, mais précaires n’avaient pas accès au logement social, et en l’absence de cadre dédié, la ville a choisi d’expérimenter la construction de 30 logements à coût de production maîtrisé. Ce montage a permis d’aboutir à un loyer mensuel plafonné de 50€ à 100€ suivant les ressources des ménages. Sur 1 hectare, 30 ménages ont donc été temporairement relogés après la démolition, pour revenir habiter en lieu et place du bidonville préexistant dans de nouveaux logements livrés entre 2021 et 2023, avec un opérateur gestionnaire dédié. Cette première opération a mis en évidence que des solutions étaient possibles et qu’elles émergeraient d’expériences locales portées par des élus. Elle a également prouvé la nécessité d’établir un cadre réglementaire et financier, pour permettre de combler le vide juridique sur la question du droit au logement des publics réguliers, mais précaires économiquement et administrativement, surreprésentés à Mayotte.


En 2021, et dans la continuité de ce projet, le décret relatif au Logement Locatif Social Très Adapté (LLTSA)[1], produit spécifique à Mayotte et à la Guyane, a permis de poser les bases pour la construction et le fonctionnement de ces logements.


La rareté du logement est une caractéristique du territoire qui rend impérative la question de la production pérenne, mais pose également la question du temporaire. En effet, si l’opération Talus 1 a permis de démontrer la capacité de faire revenir des ménages dans leur quartier d’origine, elle a également mis en lumière la complexité d’accompagner convenablement ces ménages le temps des chantiers de reconstruction.


Si des solutions peuvent être trouvées dans le parc existant, une part des ménages n’a pas accès au parc social et n’a pas les moyens d’accéder au parc privé.

La ville de Koungou, à travers l’opération Hamachaka, a voulu aller plus loin en proposant une solution de relogement dédié aux ménages impactés par les démolitions, à la mise en place rapide, accessible aux plus précaires et proche du lieu de vie originel des habitants. Pour cela, elle s’est penchée dès 2022 sur un modèle de logements “tiroirs” adapté aux opérations de rénovation urbaine à Mayotte. La construction de 10 logements modulaires en 3 mois permet de répondre à l’urgence des opérations (en l’occurrence en 2023, la démolition de la phase 2 du talus de Majicavo, un site extrêmement exposé aux risques). La ville assure la maîtrise foncière et les autorisations, puis délègue au moyen d’un accord-cadre la viabilisation, la construction, la gestion locative et l'accompagnement social à un groupement composé d’un constructeur et d’un opérateur social spécialisé. Le LLTSA est remobilisé pour financer la construction, avec des compléments de financement de droit commun pour l’aménagement et l'accompagnement des ménages.


Ainsi, les ménages ont accès à un logement à moindre coût et à un accompagnement pour améliorer leur situation, les accompagner vers le droit commun et préparer leur emménagement dans un logement durable. Le parcours résidentiel est continu et ascendant du bidonville au logement.


Si ces premières opérations illustrent la possibilité de proposer des solutions au problème du relogement, elle doit s’intégrer dans des projets urbains complets avec une programmation plus ambitieuse. Parce que la ville ne peut se construire par accumulation de petites opérations de lotissements, il a semblé essentiel de changer d’échelle en engageant la transformation de quartiers insalubres. La mobilisation d’aménageurs dédiés à des projets d’initiative publique est déterminante pour garantir la création de quartiers inclusifs et durables. Pour cela, la ville de Koungou a dû construire un mode opératoire hybride et porter, aux côtés de l’Etat, un volet complexe des projets de recomposition urbaine : le suivi social des familles, de la démolition jusqu’au relogement pérenne, en passant par le relogement temporaire.


Plus vieux bidonville de Koungou situé en plein de cœur de village, la transformation du quartier Carobolé a été le premier projet urbain du genre sur le territoire. Objet de nombreuses études depuis 20 ans, la transformation de ce site était prévue sans jamais se concrétiser, malgré une  exposition partielle à des aléas fort et une insalubrité marquée dans tout le quartier (déversements d'eaux grises, fondations précaires, pas ou peu d'accès à l'eau potable, etc). Environ 200 ménages vivaient dans ce quartier en plein cœur de ville, sur un foncier appartenant à la commune. En 2021, la ville initie donc des enquêtes sociales afin d’identifier précisément chaque occupant. À l'inverse des idées reçues, la moitié sont français et plus de 9 familles sur 10 sont en situation régulière. L’action est rendue évidente et les services de l’Etat sont sollicités pour accompagner la municipalité dans la démolition et le relogement des ménages, pour disposer de moyens à la hauteur des besoins, et permettre le renouvellement urbain du quartier.


Vues aériennes du quartier Carobole : du bidonville à la ville (source : Lieux Fauves, MOE du groupement aménageur SIM/Colas)
Vues aériennes du quartier Carobole : du bidonville à la ville (source : Lieux Fauves, MOE du groupement aménageur SIM/Colas)

Beaucoup ne croyaient ni à la démolition, ni à la reconstruction, ni à la possibilité d’être relogé dans le futur quartier. Pourtant, pour la première fois à Mayotte :

  • l’État a mobilisé tout son parc de relogement disponible. La rareté des logements et le grand nombre de refus lié à l’éloignement qui en résultait rendaient d’autant plus importante la nécessité de recréer une offre diversifiée de logements avec une densité maîtrisée ;

  • des conventions de relogement ont été signées entre la municipalité et les habitants du bidonville, les rendant prioritaires dans l’accès aux logements une fois livrés ;

  • le bidonville de 5 hectares a entièrement été démoli, au profit de la rénovation urbaine du quartier ;

  • une concession d’aménagement a été conclue avec un aménageur local pour la réalisation d’environ 420 logements (du social au libre, et de la location à l’accession), d’équipements publics, de commerces, de services et d’un parc de plus de 1.5 hectare ;

  • la mise en place d’indemnités dites ‘Letchimy’ est en cours, pour les ménages ayant vécu au moins 10 ans de façon continue et paisible dans le quartier démoli. Dédiées à leur relogement durable, ces indemnités viennent renforcer les projets des ménages pour faciliter leur retour sur site.

Signature des conventions de relogement pour les 200 familles de Carobolé à Koungou en 2021
Signature des conventions de relogement pour les 200 familles de Carobolé à Koungou en 2021

Après le passage du cyclone Chido, les travaux sont en cours sur cette opération pilote pour Mayotte. Ses objectifs se trouvent d’autant plus politiques dans un contexte où les conséquences de l’inaction ont été révélées.


La réalisation d’opérations a permis à la ville de Koungou de dépasser les limites souvent opposées à l’engagement des projets et donc au développement du territoire, parmi elles :


  • Mais on n’a pas de foncier pour aménager et construire !


Force est de constater que les terrains ‘disponibles’ sont une denrée rare à Mayotte. Il est néanmoins essentiel de rappeler que le Conseil Départemental est le premier propriétaire foncier de l’île, s’étant vu confier la compétence de régularisation foncière au moment de la départementalisation en 2011. Cette ‘rareté’ est renforcée par des caractéristiques inhérentes à la géographie et l’histoire de l’île : topographie marquée et aléas naturels qui impactent 90% du territoire, indivisions successorales nombreuses qui contraignent l'identification du foncier, occupation informelle et précaire qui progresse rapidement.


Mais ces difficultés sont classiques des opérations d’aménagement complexes visant la lutte contre l'habitat indigne, et le cadre d’action français dispose d’un panel d’outils riche. L’enjeu est donc bien celui de la maîtrise du foncier (propriété, occupation et destination) et d’une stratégie à développer à l’échelle des territoires.


L’expertise française en matière d’aménagement permet de gérer le risque dans les projets, avec des outils dédiés, notamment pour ce qui relève de la résorption de l’insalubrité. À titre d’exemple, l’expropriation en loi Vivien a été déployée sur un quartier insalubre de 5 hectares dans le cadre de l’opération d’aménagement Mavadzani-Mouinajou et s’avère être une procédure adéquate pour la réalisation de projets en contexte de bidonville. Cette méthode de « récupération foncière » a permis à la puissance publique de maîtriser les coûts d’acquisition du foncier en faisant porter le coût des travaux propres à la résorption de l’insalubrité (relogement des ménages, démolition, etc.) au propriétaire du terrain. Doublement adaptée, elle permet également une prise de possession anticipée des biens, dès la Déclaration d’Utilité Publique, et donne la latitude nécessaire à la collectivité pour agir efficacement et légitimement en faveur de l’habitat digne.


  • Mais à Mayotte il y a très peu d’espaces constructibles !


Reconstruire la ville sur le bidonville sous-tend non seulement un objectif de résorption de l’habitat précaire, mais également un objectif de développement durable. La rénovation urbaine permet de développer la ville sans l’étendre davantage et se révèle un outil particulièrement adapté au territoire contraint de Mayotte. Le potentiel de constructibilité offert par la restructuration des bidonvilles est très important. Les opérations de Carobolé et de Mavadzani-Mouinajou, démontrent que reconstruire en lieu et place des anciens bidonvilles est possible, avec une densification raisonnée et une grande place laissée à des espaces publics qualitatifs. Plus que possibles, ces opérations se veulent précurseures et démonstratrices d’un modèle de développement urbain mahorais vertueux.


  • Mais pourquoi ne pas accompagner l’autoconstruction en bidonville ?


Le bidonville est un phénomène massif à Mayotte et particulièrement à Koungou, où il représente 40% de l’habitat et s’étend de façon exponentielle (Insee, 2017). Caractériser et traiter l’insalubrité irrémédiable de ces quartiers est une responsabilité des pouvoirs publics, tout comme garantir l’accès à un logement digne. L’absence de planification est un facteur majeur de vulnérabilité des populations face aux crises qui touchent l’île depuis longtemps, à titre d’exemple la crise de l’eau ou encore le passage du cyclone Chido. Adapter la réponse et la gestion des ressources aux besoins peut difficilement être reporté à une échelle individuelle. L’aménagement est indispensable pour apporter des réponses au plus grand nombre dans une logique d’intérêt public.


Vues aériennes du village de Majicavo-Koropa montrant l’extension de l’urbanisation informelle et précaire sur 5 ans sur le périmètre de l’actuelle opération d’aménagement Mavadzani-Mouinajou
Vues aériennes du village de Majicavo-Koropa montrant l’extension de l’urbanisation informelle et précaire sur 5 ans sur le périmètre de l’actuelle opération d’aménagement Mavadzani-Mouinajou
  • Mais on ne peut pas reloger tout le monde !


La méthodologie de projet propre au renouvellement urbain, la diversité des typologies de logements sociaux et les nouveaux outils propres au logement adapté (intermédiation locative, pensions de famille, etc.) offrent plusieurs façons de créer des logements accessibles aux différents ménages. Les spécificités du droit français à Mayotte sur la régularité de séjour rendent néanmoins difficile l’accès de tous les ménages aux logements. L’aboutissement d’opérations a permis à la ville de Koungou d’expérimenter de nouveaux modèles de logement pour proposer des alternatives et résorber définitivement l’habitat insalubre.

Si la réalisation des opérations, du bidonville au relogement, montre que ce problème peut être contourné de façon temporaire, leur aboutissement révèle un ultime point de blocage : les ménages réguliers, mais précaires économiquement et administrativement n’ont pas accès au logement social. Or cette situation ne permet pas d’atteindre les objectifs de développement urbain, car nombre d’entre eux sont contraints de retourner s’installer dans des quartiers insalubres et précaires.

 

Les projets urbains de Mayotte pourraient répondre durablement aux problématiques environnementales, sanitaires ou encore d’insécurité. La réalisation complète d’opérations du bidonville au logement permet d’en déduire les conditions pour leur réussite :

  • Prioriser dans le relogement au sein des projets urbains, les ménages en situation régulière impliqués et présents depuis plus de 10 ans sur le territoire ;

  • Aligner l’accès aux prestations sociales, notamment en termes d’aides au logement, sur les règles en vigueur dans le territoire national. Cette convergence sociale est urgente, car elle permettrait aux ménages en situation régulière impactés par les démolitions d’accéder aux logements sociaux, qui leur sont destinés et qui sont en cours de construction, afin d'aboutir véritablement le renouvellement urbain du territoire.


Par exemple, l’ouverture des Aides Personnalisées au Logement (APL) améliorerait leur solvabilité. Cette évolution du droit semble nécessaire pour permettre aux ménages relogés dans ces parcs d’accéder à moyen terme à du logement social ‘classique’ et habiter les quartiers renouvelés.


Le passage du cyclone Chido a été dramatique pour le territoire. Il démontre les conséquences de l’inaction face à des problématiques grandissantes, notamment en termes d’insalubrité. Pourtant, en privilégiant un mode opératoire basé sur le terrain et la réalisation d’opérations, la ville de Koungou a montré la possibilité de dépasser l’absence de solutions toutes faites et l’importance de construire un cadre à partir du terrain, grâce à un fort engagement politique.


Cette catastrophe peut aussi être l’opportunité de se saisir des retours d’expériences et de s’en nourrir pour établir un plan d’action ambitieux, concret et valorisant pour Mayotte.


Pour cela, travailler sur l’accès au logement, et aux droits de façon générale, de tous les ménages en situation régulière et impliqués dans les projets est primordial pour résorber véritablement le bidonville. Ce sera sans doute le défi principal de l’établissement public dédié à la reconstruction de Mayotte.



[1] Arrêté du 17 septembre 2021 relatif à l'expérimentation du dispositif « logement locatif très social adapté » dans les départements de la Guyane et de Mayotte

 
 
 

Comments


bottom of page